Bran a pris le dernier tour de garde, laissant les heures les plus sombres aux yeux perçants des nyctalopes. Avec un brin de malice et de nostalgie, l'ensorceleur a raconté au coin du feu et d'un ton de parfait pince sans rire, l'histoire d'une escouade de soldats perdus dans les marais et rendus fous par la ritournelle incessante d'une jeune enseigne qui prétendait ainsi remonter le moral de la troupe moribonde. Bien sûr, elle avait réussi son coup puisque les rugueux fantassins furent si exaspérés par la chansonnette guillerette tellement répétée - et pour cause, elle n'en connaissait qu'une - qu'ils en oublièrent leur infortune pour comploter contre la fâcheuse et se débarrasser de cette exaspération bien plus insupportable que la boue grasse, les sangsues suceuses de sang et la chiasse des rations pourries. Toute ressemblance avec des personnes existantes étant parfaitement fortuite et avérée, Bran s'est ensuite éclipsé pour aller dormir.
Au matin, il s'est surtout occupé de Bourrasque, son magnifique - quoique crotté - destrier avant d'allumer une bonne flambée pour réchauffer les corps et les cœurs. Dès que le signe du départ est donné, il est prêt à partir, pressé de sortir enfin de ce marais déprimant.